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Les termes et enjeux du débat sur les retraites

Les retraites vont constituer un dossier central de l’actualité sociale 2010.

Il ne s’agissait pas de faire un point général à l’occasion du présent Comité national mais de pointer quelques uns des enjeux de la bataille à venir sachant que pour l’heure nous ne disposons pas d’éléments certains sur cette réforme. Le contenu de nos écrits antérieurs reste donc pertinent. Cette bataille ne sera pas celle de 2003 basée sur les 37,5 annuités.

La défaite de celle-ci pèsera à la fois sur la capacité de mobilisation et sur les principales revendications à avancer.

Le gouvernement hésite entre deux stratégies possibles :

- Repousser l’âge possible du départ en retraite de 60 ans actuellement à 65 ou 67 ans ;
- Transformer totalement le système de répartition à travers une réforme systémique qui passerait par un régime par point ou par comptes notionnels.

Rien ne se fera avant les élections régionales de mars et il est probable que le gouvernement annoncera ses décisions seulement après le congrès de la Cfdt qui se déroulera en juin prochain.

Une première phase de discussions devrait donc s’ouvrir en avril, mais le prochain rapport du COR, prévu pour début février, donnera sans doute des indications fortes sur les intentions du gouvernement qui doit donner des indications le 15 février.

Quel que soit ses choix, il est évidemment hors de question pour lui de discuter de l’augmentation de la part de la richesse produite consacrée aux retraites qui se traduirait par une augmentation de part patronale des cotisations sociales.
Reste alors deux solutions, l’augmentation de la durée de cotisation et le report de l’âge de départ à la retraite.

Il sera difficile d’augmenter encore la durée de cotisation puisque la loi de 2003 a imposé une augmentation permanente : les 2/3 de la croissance de l’espérance de vie à 60 ans est consacré à la durée de cotisation. Reste donc la seconde option.

Si l’option du report de l’âge de départ à la retraite est retenue, il s’agit de faire sauter deux verrous : l’âge légal de possibilité de départ à 60 ans (élément qui n’est pas le plus important car celui-ci est de plus en plus fictif avec la baisse des pensions qui impose de travailler plus longtemps et le fait que les jeunes rentrent de plus en plus tard sur le marché du travail) mais surtout la borne des 65 ans à partir de laquelle est garantie une retraite à taux plein (c’est-à-dire sans décote).

Le gouvernement va appuyer sa propagande sur des comparaisons avec les autres pays européens : 67 ans en Allemagne à l’horizon 2037, 68 ans au Royaume-Uni à l’horizon 2046…

Or la situation démographique est radicalement différente en France que dans le reste de l’Europe. L’indicateur conjoncturel de fécondité est légèrement supérieur à 2% en France contre 1,3 en Allemagne ; 1,2 en Espagne ; 1,7 au Royaume Uni…

Nous devons contrer le discours gouvernemental en mettant tactiquement en avant le fait que cette plus forte fécondité en France a des conséquences sur le nombre de naissances, de jeunes qui arrivent sur le marché du travail et paient les retraites… et de jeunes qui seront au chômage si les anciens ne laissent pas la place.

Les dernières réformes et l’allongement de la durée de cotisations n’ont pas entraîné un allongement de la durée d’activité souhaité par le gouvernement.

En moyenne, l’âge réel de départ à la retraite en France reste à 58 ans et 60% des salarié-es sont hors emploi au moment de liquider leur retraite. Constat dû au fait que les entreprises préfèrent employer des jeunes mais aussi à ce qu’une partie des salarié-es âgés a anticipé l’aggravation des conditions de départ.
En voulant repousser l’âge de départ à la retraite, le gouvernement veut agir sur la durée d’activité à travers une très forte décote (et donc une baisse du niveau des pensions) pour faire payer le prix fort à tous ceux/celles qui voudraient partir avant.

La seconde possibilité qui s’ouvre pour le gouvernement est celle d’une réforme systémique qui toucherait tous les régimes.

L’éventualité d’une grande offensive pour passer d’un système à répartition à la capitalisation semblant peu probable au vu du contexte actuel engendré par la crise, le gouvernement peut chercher à changer la nature même de la répartition.
Nous passerions pour les régimes concernés d’un régime à prestations définies (avec un taux de remplacement -pourcentage de la pension par rapport au salaire garanti) à un régime à cotisations définies (avec aucune garantie de la cotisation qui sera reversée).
En effet, dans ce cadre, la caisse de retraite concernée s’engage uniquement à récupérer les cotisations et à assurer l’équilibre financier du régime.

Dans le cas d’un régime par points (cas actuel des régimes Arco/Agirc), la pension dépendrait du nombre de points et de la valeur du point. Les cotisations servent à acheter des points dont la valeur d’achat est fixée par la Caisse de retraites.
Le salarié-e peut théoriquement à tout moment décider de l’âge de son départ à la retraite, en fonction de la pension dont il connaît la valeur en permanence, en multipliant son nombre de points acquis par la valeur de vente du point qui peut varier suivant la décision de la caisse de retraite.

Ce système entraîne de fait la disparition des bornes d’âge, de durée… pour instaurer un « système à pilotage automatique » avec une individualisation de la retraite de chacun.

La logique d’une répartition par points pourrait être encore aggravée par l’introduction d’un régime de « comptes optionnels » qui reviendrait à introduire la logique de la capitalisation. Les cotisations servent à alimenter un compte d’épargne virtuel dont le capital est valorisé tous les ans (soit en fonction de l’inflation, soit selon d’autres critères).
En fin de carrière, le capital fictif est transformé en rente selon un coefficient de
conversion basé sur l’espérance de vie (soit de la génération, soit de la catégorie socioprofessionnelle, soit en combinant les deux). L’objectif est de rendre la retraite la plus contributive possible : les prestations reçues par chacun-e doivent correspondre aux cotisations versées actualisées.

Il s’agit d’un changement radical de la logique de répartition dans laquelle la retraite est le prolongement du salaire, l’objectif étant de maintenir durant la retraite le niveau de vie acquis pendant la vie active.
On cotise en activité pour payer les cotisations des retraité-es et le fait de cotiser ouvre le droit à la solidarité de la génération suivante. On ne cotise pas pour soi-même, chaque génération « monte sur les épaules » de la précédente.

Dans la logique des comptes optionnels, on passe de la logique du « salaire socialisé » à celle de la rente avec comme indicateur central le taux de rendement des cotisations.

Une question majeure se pose de savoir selon quelles modalités les espérances de vie doivent être différenciées. Les femmes, dont l’espérance de vie est supérieure aux hommes, peuvent ainsi pénalisées.

Par ailleurs, quelques remarques « techniques » sont à signaler, notamment du fait de l’existence d’un projet de l’ONU visant à réviser les règles de la comptabilité nationale. Dans le système actuel, les régimes en répartition sont enregistrés comme « transferts courants » et les régimes en capitalisation sont enregistrés selon les standards de la "comptabilité dite d’engagement » (les cotisations des ménages ouvrent une dette auprès des caisses de retraite qui doivent provisionner).
- Quelles seraient les règles applicables en cas d’introduction de comptes optionnels ?
- Quelles seraient les conséquences sur les caisses de retraites et la dette publique si les retraites devenaient une dette en matière comptable ?

Quelles que soient les orientations que prendra le gouvernement, la bataille s’annonce difficile :

- poids de la défaite de 2003 ;
- fatalisme de la population devant les reculs annoncés ;
- division syndicale dans les analyses et propositions (avec notamment la Cfdt et l’Unsa qui sont pour une réforme systémique) ;

L’unité sera plus facile si le gouvernement essaye de passer en force via une réforme symbolique forte sur le report de l’âge de départ à la retraite qui peut cristalliser un conflit… Il peut aussi décider d’ouvrir des négociations plus longues par aboutir à une réforme systémique en 2011.

Sans attendre, Solidaires doit se lancer dans une campagne d’éducation populaire et favoriser la création de cadres unitaires aptes à favoriser un processus de mobilisation sur ces questions.

Solidaires Haute-Garonne s’interroge sur la réelle position confédérale de la Cgt, souligne que la vraie problématique est celle de la décote. Il faut également affiner notre position sur les phases de transition pour pouvoir répondre aux interrogations des salarié-es sur cette question souvent cruciale pour eux/elles.

SUD PTT s’interroge sur l’avenir de la solidarité actuelle, remise en cause par l’individualisation de la pension.

Solidaires Hérault souligne qu’il faut bien lier la question des retraites à celle de la destruction de l’emploi. Il souhaite la diffusion d’un argumentaire sur l’afflux des jeunes sur le marché du travail, nés dans un pays plus fécond que les autres, et les problèmes qu’ils rencontreront pour trouver un emploi non libéré par un ancien.

SUD Santé Sociaux rappelle que la ministre propose 2 000 € de plus chaque année aux seules infirmières qui accepteront en échange de lâcher le droit de partir à 55 ans, ce que les organisations syndicales approuvent.
La situation est difficile et le poids des défaites fort, mais l’histoire ne va pas forcément se répéter et les attaques vont concerner cette fois aussi bien le public que le privé. Il est important de mettre en avant plusieurs points (décote, paupérisation, situation des femmes…) et de communiquer sur la nécessité d’un autre partage des richesses. La question des 37,5 anuités n’est évidemment pas centrale, mais nous ne devons pas la
lâcher. Nous avons intérêt à prendre des initiatives fortes rapidement.

SUD Crédit Agricole s’interroge sur le poids des mesures seniors sur le report de l’âge de départ. Ces accords sont souvent bidons faute de pénalités.

Solidaires Douanes sent une attente des militant-es qui souhaitent batailler sur les retraites et une volonté de ne pas se laisser faire, avec une grande responsabilité de Solidaires sur ce dossier. On assiste à une attaque sur les avantages aux Douanes avec un système de bonification détruit.

Solidaires Nord Pas-de-Calais appuie le fait que la question des retraites doit constituer une priorité de notre Union syndicale… ce qui passe par des engagements forts de toutes les structures membres qui devront y mettre les moyens nécessaires. Il souhaite un cadre unitaire large et que soient rapidement définis : un matériel de campagne, un calendrier, des initiatives…

SUD CAM trouve la présentation trop fataliste. L’élément démographique est effectivement un élément important. Il faut des arguments à destination des jeunes pour mobiliser ceux-ci. La pénibilité représente un grand enjeu avec des questions de fonds notamment sur le stress qui peuvent également permettre de gagner stratégiquement du temps… mais jusqu’où ?

Solidaires Côtes d’Armor souligne que par rapport à 2003 il n’y aura pas d’opposition public/privé et plus l’illusion d’une réponse basée sur la capitalisation. Solidaires a un rôle important à jouer, nous avons l’avantage d’avoir des acquis de réflexion et d’être homogène sur nos positions. Certaines équipes d’autres organisations syndicales ne semblent pas prêtes à se faire avoir une nouvelle fois.

Nous ne devons pas avoir peur de parler stratégie.

Quelques compléments sont apportés :

- la Cgt a abandonné les 37,5 anuités non pas lors de son dernier congrès mais avant 2003. Elle a un texte de congrès sur ces questions qui a été fortement amélioré par des amendements… mais un texte vaut peu ;
- les conséquences de la réforme et la phase de transition seront au coeur des négociations. Nous devrons être attentifs aux impacts de la crise financière qui a bouleversé les données de base, le taux de chômage… Les changements joueront fortement sur le court terme, et peu sur le long terme, mais le gouvernement en tirera des arguments.
- nous sommes pour la convergence vers le haut de tous les régimes. Focaliser sur la pénibilité serait une erreur. Le patronat maintiendrait le départ à 60 ans pour les métiers pénibles et plus tard pour les autres,entrer dans ce raisonnement nous laminerait.
- nous avons des éléments favorables pour mobiliser, mais nous n’aurons pas de revendications phares simples et claires, mais une série de revendications complexes. Les jeunes doivent être mobilisés en priorité, car ils seront plus pénalisés.
- l’intersyndicale sera dans un 1er temps le seul cadre unitaire en capacité de mettre en mouvement les salariées et de démarrer la mobilisation. Nous devons proposer ce cadre unitaire, y travailler, même si nous savons qu’il ne tiendra pas jusqu’au bout, comme en 2003…

Un certain nombre de décisions sont actées.

Une journée de formation militante sera organisée sur ce dossier.

En matière de matériels seront proposés dans un temps, en dehors des communiqués « réactifs » à l’actualité (annonces présidentielles ou gouvernementales, rapport du COR…), un quatre pages grand public et un visuel (affiche / autocollant) de campagne.

La pertinence d’une petite brochure pédagogique (type questions / réponses) ou de fiches/tracts thématiques sera creusée.

Un courrier sera envoyé pour demander qu’une intersyndicale nationale se tienne sur la question des retraites.

Solidaires prendra l’initiative pour essayer de favoriser le lancement d’un cadre unitaire large (à décliner localement) à partir d’Attac, Copernic…


Article publié le samedi 6 février 2010