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Rapport sur la refondation du droit social


Un rapport du MEDEF, pour le MEDEF, Orienté, idéologique, inadmissible

Curieusement, à l’heure où se tient une négociation sur le dialogue social, un rapport traitant du sujet arrive dans les mains du ministre du Travail. Une manière pour le moins cavalière pour le gouvernement de s’inviter dans la négociation collective. Hasard de calendrier ? Difficile d’y croire en sachant que le contenu du rapport était connu et, d’une certaine manière, écrit de longue date puisqu’il n’est grosso modo qu’une reprise, délayée sur 182 pages, d’un article des mêmes auteurs publié en 2008 dans la Revue Française d’Économie !

Tout aussi opportunément, le rapport sert la soupe au gouvernement  : il prône, sous couvert de vouloir améliorer la protection des travailleurs, la nécessaire « adaptation du droit social aux mutations économiques », autrement dit la soumission de l’homme à l’économie, ce vers quoi tendent précisément toutes les réformes de ces dernières années.

 Les auteurs, l’un directeur des études microéconomiques et structurelles de la Banque de France, l’autre avocat-conseil en droit social spécialisé dans la défense des employeurs, pointent du doigt les rigidités du marché du travail, défavorable aux gains de productivité et à l’emploi. Ils estiment visiblement que les réformes menées jusqu’à présent par le gouvernement actuel, et notamment les ruptures conventionnelles (147 000 sur 13 mois), qui ont pourtant permis de détourner la réglementation relative au licenciement pour motif économique, n’ont pas assez ‘fluidifié’ les relations sociales !...

 Ainsi, pour déverrouiller davantage le carcan réglementaire, l’accord collectif (selon les rapporteurs) devrait remplacer la loi, sous réserve du respect de l’ordre public social qui serait redéfini et négocié par accord national interprofessionnel (type d’accord qui, rappelons-le, n’est jamais applicable à tous les employeurs, et le sera d’autant moins que le rapport suggère de supprimer les possibilités d’élargissement ou d’extension utilisées actuellement par le ministère du Travail). Comme le reconnaissent les auteurs, cela nécessite des partenaires sociaux forts. Or, la France a un taux de syndicalisation parmi les plus bas d’Europe. En l’état, un tel transfert de pouvoir normatif ôterait toute protection au salarié, le droit social devenant alors un instrument légal d’exploitation des travailleurs aux mains des employeurs.

 En ce qui concerne spécifiquement le fonctionnement des institutions représentatives du personnel (IRP), les auteurs du rapport proposent tout d’abord de relever le seuil d’effectif de 11 à 20 salariés pour organiser des élections de délégués du personnel (DP), c’est-à-dire de supprimer la représentation du personnel dans les très petites entreprises (TPE) ; à la place, ils proposent de créer une possibilité de négociation directe avec validation par référendum (quand on voit avec quel mépris a été traité le mode référendaire lors de la votation citoyenne sur l’avenir de la Poste, ça promet…).

Ils préconisent ensuite de généraliser la délégation unique du personnel (DUP) dans les entreprises de 20 à 100 salariés ; elle regroupera les DP, le CE et le CHSCT. C’est commode de faire disparaitre le CHSCT à l’heure où de plus en plus d’employeurs sont mis en cause pour absence de respect de leur obligation de sécurité (amiante, risque chimique, harcèlement moral, suicides chez Renault et France-Telecom/Orange par exemple).

Enfin, l’employeur sortirait du CE, c’est le secrétaire qui en deviendrait président. Celui qui préside, c’est celui qui a le pouvoir de décision. À moins de donner en France le pouvoir de décider - des licenciements économiques par exemple - aux représentants du personnel, ce qui serait révolutionnaire et imposerait un changement de notre système économique, proposer de retirer l’employeur de cette instance revient à supprimer toute utilité à celle-ci. Transférer aux organisations syndicales le pouvoir réglementaire serait en outre un suicide social collectif au regard des rapports de force actuels.

 Pour « un meilleur traitement des litiges et du non-respect du droit social », il faudrait réduire le champ des sanctions pénales et accroître celui des sanctions administratives (le rapport fait ainsi écho à la volonté de Sarkozy d’en finir avec la « pénalisation à outrance » du droit des affaires qui fait soi-disant perdre « aux Français le goût du risque et d’entreprendre »...), revoir la définition du motif économique (c’est plus commode d’assouplir encore les pouvoirs de l’employeur, surtout en période de crise), déroger au monopole des juges prud’homaux comme seuls juges du contrat de travail par accord de branche (pour les désengorger de l’afflux de dossiers provoqué par la suppression de 40 conseils il y a 2 ans), supprimer les durées maximales du travail, le repos compensateur et le contingent liés aux heures supplémentaires (depuis la loi du 20 août 2008, c’est tout ce qu’il restait des obligations impératives puisque tout le reste est déjà négociable, le pas ultime est franchi), externaliser l’obligation de reclassement et des PSE (ce n’est plus l’employeur qui portera la responsabilité de devoir tout entreprendre avant un licenciement sec, il les confiera à des cabinets privés), positionner l’Inspection du Travail comme « conseil en ingénierie en relations sociales » (cette position est confirmée par le ministère du travail : c’est tellement mieux pour les employeurs d’être « accompagnés » plutôt que contrôlés). Bref, pour les auteurs du rapport, tout y irait mieux pour tout le monde si on laissait libre cours à la force créatrice des employeurs : tous pouvoirs et aucune responsabilité !

S’il est vrai que le droit du travail est complexe et que le législateur a successivement empilé les textes sans toujours se soucier de leur compatibilité, c’est d’abord le résultat de la volonté politique de mettre en place des dispositifs de plus en plus nombreux pour déroger à la règle.

Les derniers gouvernements en place et le MEDEF multiplient les exceptions et les dérogations au droit commun à tous : cette accumulation de règles aboutit à un obscurcissement complet des règles. Cette déréglementation par sur-réglementation entraine le même résultat que la suppression pure et simple des règles.

Si une simplification s’impose, pourquoi devrait-elle toujours se faire au détriment des salariés et de leurs représentants, avec toujours moins de droits ? Notre syndicat propose d’ailleurs depuis plusieurs années une autre simplification du droit du travail.


OUI À UNE REFONTE DU DROIT SOCIAL, NON AU DROIT À LA CARTE


Article publié le vendredi 12 février 2010