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LE RIFSEEP ou « Comment l’administration a institutionnalisé l’inégalité salariale au profit de l’encadrement »

En 2023, la DRH a décidé de proposer une nouvelle mouture de l’instruction-cadre relative au RIFSEEP de 2016 qu’elle a donc soumis aux organisations syndicales. Le bilan au terme du 2ème groupe de travail du 27 septembre, visant à "identifier les points de convergence et les points de désaccord" n’est pas fameux : les éléments chiffrés demandés se font toujours attendre et, sans surprise, aucune amélioration n’émerge. La version proposée au CSE ministériel n’est guère mieux. Nous vous proposons de revenir sur ces points et sur nos revendications en la matière.

Pour rappel le RIFSEEP, « Régime Indemnitaire tenant compte des Fonctions, des Sujétions, de l’Expertise et de l’Engagement Professionnel », est un format de rémunération interministériel créé pour la Fonction publique par un décret de 2014[1], libre à chaque ministère et pour chaque corps d’opter ou pas pour ce système. C’est chose faite pour les ministères sociaux, avec une instruction-cadre nationale pour les titulaires depuis 2016.

Concrètement, l’ensemble des primes existantes (primes de technicité, part de primes… à l’exception de la survivance provisoire de la NBI) ont été fondues dans une prime mensuelle fixe, l’IFSE, et une prime variable annuelle, le CIA pour « complément indemnitaire annuel ». Ce système vient ainsi remplacer les systèmes de "parts de primes" où les agent.es pouvaient de manière arbitraire se voir augmenter, un peu, beaucoup ou pas du tout leur montant de primes versé.

Pour plus de détail voir notre brochure mise à jour en février 2021 (http://www.sud-travail-affaires-sociales.org/spip.php?article836)
Voir les textes : http://www.sud-travail-affaires-sociales.org/spip.php?article502
Cf. notre Compte-rendu du CSA ministériel Travail Emploi des 19/12/2023 etSud-Travail-Affaires-Sociales

Dès l’origine, nous avons dénoncé la gestion obscure, inégalitaire et individualisée que le RIFSEEP a introduit dans la fixation du salaire : loin de l’idée de « mérite », de reconnaissance et de valorisation, le système s’avère surtout être une compétition arbitraire à enveloppe fermée. Ce système n’est pas fondé sur la qualité du travail mais part du résultat attendu (un montant à distribuer) puis fait rentrer les agent·es dedans. De la bidouille en somme. Rappelons qu’il n’y a qu’une manière d’être dignement et égalitairement rémunéré.e : pas par des primes (sur lesquelles on ne cotise pas ou peu), seulement par un traitement.

La nouvelle mouture projetée propose encore plus d’individualisation, plus d’opacité et de règles pour au final -surprise !- favoriser toujours les mêmes, les déjà-mais-apparemment-pas-suffisamment hauts salaires.

IFSE : RAPPEL du FONCTIONNEMENT : c’est comme le Monopoly : plus tu as d’appartements rue de la Paix, plus tu toucheras !

L’IFSE (c’est à la dire la partie "prime" du traitement) dépend de son corps et grade et du classement de son emploi. Ensuite, son évolution dépendra des évènements de carrière (IFSE MOBILITE) et de l’expérience acquise (IFSE EXPERIENCE). Concrètement, c’est la direction qui doit, lors de l’affectation à un poste, prendre et notifier une décision individuelle de classement de l’agent·e (en réalité, elle se dispense trop souvent de communiquer la décision de classement susceptible de recours).

Le montant de cette prime mensuelle fixe est ainsi arrêté en fonction d’un classement des emplois en deux, trois ou quatre groupes pour chacun des 19 corps présents dans nos services et selon l’affectation en centrale ou en déconcentré, et en Ile-de-France ou pas, évidemment encore différencié selon chaque ministère (Travail, Solidarité,...). Bref nous avons une atomisation de la structuration des primes qui ne fait que renforcer le caractère individuel de celles-ci.

Pour chaque groupe, l’administration fixe des montants minimum de départ différents : le "socle" (d’où provient le beau néologisme de "resoclage", dispositif qui consiste donc à augmenter le montant plancher donc l’IFSE de toutes celles et ceux qui n’en avaient pas décollé). On vous le donne dans le mille : évidemment que la hiérarchie des postes retenue par l’administration vient juste aggraver les différences entre corps et grades -déjà bien présentes et pas toujours justifiables dans le traitement de base. Par définition, point de mérite quant au travail fourni dans cette donne de départ, juste le bon vieux principe qui postule que le mérite est directement, et même exponentiellement, proportionnel à la proximité avec le sommet de la pyramide. Et bonjour l’objectivité avec des intitulés d’emplois tels que "gestionnaire de dossiers complexes nécessitant une expertise et une instruction".

Pour se faire une idée de la hiérarchie des corps, sans même parler de la hiérarchie des groupes, prenons par exemple le bas de l’échelle annuel pour les corps du ministère du travail :
• 1200 € pour les adjoint·es
• 1350 € pour les adjoint·es en centrale ou en IDF
• 1350 € pour les SA
• 1650 € pour les SA en centrale ou en IDF
• 1450 € pour les CT
• 1750 CT en centrale
• 2000 € pour les IT
• 3000 € pour les IT en centrale ou en IDF
• 1750 € pour les attaché·es
• 2600 € pour les attaché·es en centrale ou en IDF
Et en prime (ha ha !), on va encore ajouter une "majoration d’encadrement" qui permet d’augmenter l’IFSE des strates déjà les plus hautes (entre 1200 et 3000 euros en plus !) pour certains postes comme Rucs, chef.fes de pôles en services déconcentrés ou encore chef.fes de bureau en centrale.

Un projet de nouveau « resoclage » (c’est-à-dire une augmentation des planchers de montant de l’IFSE) est prévu en 2024 mais sans information claire pour le moment sur les modalités, le montant et les bénéficiaires. Nous vous tiendrons au courant.

Par la suite, l’IFSE peut augmenter seulement dans trois cas : l’IFSE dit « promotion », l’IFSE dit "mobilité" et l’IFSE dit "expérience", entièrement à la main de la hiérarchie locale et dans le cadre d’une enveloppe fermée

L’ADMINISTRATION A MIS EN PLACE UN SYSTEME OU LA PROMOTION ET LA MOBILITE SONT VALORISEES FINANCIEREMENT. MAIS DANS LA PRATIQUE, ELLES BENEFICIENT PRINCIPALEMENT AUX CHEF.FES .

L’IFSE MOBILITE : "I LIKE TO MOVE IT, MOVE IT"

La revalorisation pour les événements de carrière se met en œuvre dans 2 cas : la promotion et (nouvelle appellation), la mobilité.

Commençons par le plus nébuleux, la mobilité.
Vous changez de poste, et celui-ci est classé à un groupe supérieur à celui précédemment occupé : vous bénéficiez alors d’une revalorisation d’IFSE pour mobilité ascendante dont le montant dépend du corps auquel vous appartenez. Pour le moment, c’est (relativement) simple.
Là, où cela commence à se compliquer, c’est que l’administration conceptualise désormais le concept de mobilité dite latérale : vous changez de poste, relevant du même groupe que le précédent, occasionnant un changement de résidence administrative ou d’autorité hiérarchique, vous bénéficiez d’une revalorisation d’IFSE pour mobilité latérale dont le montant dépend du corps auquel vous appartenez. Enfin, dernier cas de figure pour bénéficier d’une revalorisation pour mobilité latérale, le cas du changement de fonction sans changement de poste lorsque les missions d’un agent sont modifiées de façon substantielle avec un « accroissement important des responsabilités confiées à l’agent que ce soit en termes d’encadrement ou de suivi de dossiers, d’évolution (à plus de 50%) du périmètre de ses attributions ou de ses missions ». Là, clairement, c’est le règne de l’arbitraire assez inquiétant quand on voit comment les missions portées par nos services évoluent régulièrement mais plutôt par glissements successifs que par changement radical.

Là encore, le montant dû est distinct pour chaque corps. Par exemple, pour un changement de poste relevant du même groupe, c’est 33 € de plus pour les adjoint·es, 42 € pour les SA et les CT, 58 € pour les attaché·es et les IT. On comprend mal pourquoi la valorisation de l’effort de mobilité est plus élevée en fonction de la catégorie... D’autant que plus la catégorie est élevée, plus l’agent·e a de possibilités de mobilités et donc cumulera encore davantage de revalorisations à ce titre au cours de sa carrière. Le système avantage structurellement les catégories les plus élevées qui auront vocation à s’élever toujours plus haut...

L’IFSE PROMOTION : y ‘en aura pas pour tout le monde !!

Concernant les revalorisations pour promotion, pas de grosse modification avec le système en place actuellement. En cas de changement de grade, une revalorisation est versée à l’agent.e dont le montant diffère selon le corps d’appartenance. En cas de changement de corps, l’agent.e touche a minima le montant socle correspondant à son groupe, voire augmente son IFSE du montant correspondant à une mobilité latérale
Notons que dans la plupart des cas précités s’ajoute une condition d’ancienneté sur le poste d’au moins 3 ans sauf pour : le changement de grade, changement de corps avec changement de poste, le changement de poste pour un groupe supérieur à l’occasion d’une restructuration (ben voyons : pour celles et ceux qui subissent la même restructuration mais n’ont pas su en profiter pour choper une promo, la condition d’ancienneté s’applique !). Là encore, cela vient mécaniquement favoriser les collègues qui ont une promotion. De plus, l’instruction précise toute honte bue que lors d’un changement de poste pour un poste classé au niveau inférieur, aucune IFSE mobilité n’est due et ce même si dans le cadre d’une restructuration subie ! Et ce sans parler des cas de réintégration sur un poste choisi par l’administration, par exemple après un congé parental.

Que propose la DRH pour remédier à tout cela ? Rien : elle renvoie aux "lignes directrices de gestion mobilité", le truc censé garantir le respect des droits à mutation ainsi que l’objectivité, la transparence et l’absence de discriminations du processus, avec le succès que l’on peut constater chaque jour.

Pour finir sur les nouveautés qui ne sont pas des cadeaux, l’administration a inventé spécialement pour les inspecteurs.trices du travail en section le concept de revalorisation d’IFSE pour un changement de section au sein d’une même UC sans changement de résidence administrative. Alors qu’auparavant, il n’existait pas de distinction entre un changement au sein de la même UC ou dans une autre UC, l’agent.e bénéficiera désormais d’une revalorisation d’un montant moindre s’il reste dans la même UC. Et pour les contrôleurs.euses du travail ? Rien n’étant prévu par cette nouvelle instruction, ils.elles ne bénéficieront plus d’aucune revalorisation dans ce cas de figure. Tout comme, le changement de territoire pour un.e CDET, ce alors que notre organisation syndicale avait obtenu par écrit cet engagement en 2018 !

Nous avons plaidé pour que :
 la note précise au niveau national ce qui relève ou non des "modifications substantielles de fonctions"
 le droit à l’IFSE mobilité en cas d’affectation à un poste inférieur
 la suppression de la prime d’encadrement, superfétatoire au regard de tout ce qui favorise déjà ces postes dans le dispositif RIFSEEP

L’IFSE EXPERIENCE : « C’EST BIEN L’EXPERIENCE MAIS C’EST MIEUX D’ETRE CHEF.FE » GABRIEL ATTAL
L’expérience, le parent pauvre de la rémunération !

L’IFSE EXPERIENCE n’est pas une garantie d’augmentation mais seulement la possibilité de voir sa situation réexaminée. Selon la circulaire générale Fonction publique, l’IFSE expérience viendrait sanctionner "l’élargissement des compétences, l’approfondissement des savoirs et la consolidation des connaissances pratiques assimilées sur un poste". C’est clair, c’est précis, ça vend du rêve. Mouif mvoyooons attendeeez...

Déjà, pas la peine de se faire des nœuds au cerveau : dans de nombreux cas l’administration ne parvient même pas à respecter le principe du simple examen de situation. Ah ça, pour nous rappeler que c’est l’heure des évaluations, il y a du monde... mais pour les réexamens oualou ! Et si vous avez le malheur de vous poser la question de votre tour, on vous répondra sans ciller que "de toute façon ça ne signifie pas que vous auriez été augmenté·e" donc passez votre chemin ! Or, comme la décision de classement, la décision de refus d’augmentation doit être notifiée, motivée et pouvoir être contestée !

L’IFSE expérience c’est le hochet qui coûte pas cher à l’administration et qui reste à la main des managers.

Autant dire que dans le système actuel, la mobilité est excessivement valorisée par rapport à l’expérience, et injuste dans ses mécanismes d’attribution et ses montants. C’est d’autant plus appréciable quand on se rappelle que l’administration aime résoudre toute situation de harcèlement et de violence en mutant gracieusement les chef·fes mis·es en cause... Effet pervers de ce petit système qui vient ainsi récompenser par une augmentation automatique et pérenne les déviances managériales et dominations masculines.

Les "compétences", les "savoirs" et les "connaissances pratiques", selon les termes de la circulaire générale, deviennent une donnée marginale dans la progression salariale, ce qui est tout de même un comble pour un "Régime Indemnitaire tenant compte des Fonctions, des Sujétions, de l’Expertise et de l’Engagement Professionnel" ! Et en parlant d’expertise, il n’y a qu’à comparer les niveaux d’IFSE des corps interministériels par rapport aux corps techniques pour voir le loup dans le flou. Celles et ceux qui s’étaient laissé convaincre qu’introduire un peu plus de "mérite" par rapport à l’évolution à l’ancienneté caractéristique de la Fonction Publique était une bonne chose ont maintenant eu quelques années pour voir leurs espoirs douchés.

Qu’apporterait la nouvelle instruction 2024 ? Que du mieux, M’sieurs-dames ! Non, on plaisante : quitte à, en pratique, ne pas respecter l’obligation de réexamen, autant prévoir un système avec moins de réexamens (là au moins, c’est clair : la non-augmentation est automatique et garantie !) Au lieu d’un réexamen (sans augmentation obligatoire) tous les 3 ans tout au long de la carrière, il serait prévu un premier réexamen 2 ans après l’intégration, puis à 3 ans (5 ans d’ancienneté) et ensuite à 4 ans (9 ans d’ancienneté) et encore une fois (13 ans d’ancienneté).
Seule toute petite avancée : si vous n’avez pas été revalorisé.e au bout de 4 ans, votre situation devra être « particulièrement étudiée » et si on ne vous augmente pas, votre chef.fe devra en justifier la raison. N’hésitez pas à exiger des explications si vous êtes dans ce cas !

Nous sommes contre ce système de primes mais à défaut, nous revendiquons que l’IFSE expérience soit automatiquement, fortement et régulièrement augmenté pour valoriser le travail des agent.es.

IFSE MOBILITE ET EXPERIENCE : vers un salaire toujours plus important pour le.la chef.fe qui papillonne et toujours ras les pâquerettes pour l’agent.e qui charbonne !

En réalité, les agent·es qui produisent véritablement le service sont assigné·es aux mêmes postes, faute de postes à pourvoir, dont le contenu varie pourtant au gré des politiques sans que soit reconnue une modification "substantielle" de fonctions, sans aucune valorisation des capacités d’adaptation à un nouveau dispositif, une nouvelle spécialité, un nouveau projet, un nouveau réseau territorial, etc. Vu d’en haut, tout ça se ressemble et est interchangeable, comme le prouvent d’ailleurs l’abandon d’une véritable politique de formations métier au profit des gadgets managériaux et autres coachings émotionnalo-psycho-bienveillance-trucmuche, la destruction méthodique de tous les postes d’appui technique et d’expertise en région et en centrale, et on n’ose même plus évoquer le sujet des parcours de carrière qui n’est tout simplement plus un sujet. Pendant ce temps-là, le haut de la pyramide passe de chef·fe de pôle à chef·fe de département, de chef·fe en DR à chef·fe en DD en passant par chef·fe en SGCD - tous postes requérant tellement d’expertise ès réunionite, novlangue de bois et acronymes que ça mérite bien la part belle du gâteau. Ainsi, la hiérarchie a la possibilité de changer régulièrement de postes et à chaque fois il y aura une augmentation de l’IFSE. En revanche, un CDET qui se verrait modifier ses missions référent.es jeunes ou handicap avec une réglementation et des interlocuteurs.trices différent.es mais qui resterait dans le même service n’ aura pas de revalorisation.

La DRH ne s’en cache plus : y a qu’à obtenir une mutation ou une promotion pour voir son IFSE significativement augmenter. Voilà. C’est bien ce qu’on avait compris.

On rappellera à cette occasion à la DRH l’engagement pris dès 2019 mais toujours pas tenu à ce jour sur la régularisation de la situation des collègues réalisant les missions d’une assistante d’unité de contrôle mais toujours classées en "secrétaires de section" car n’ayant pas pu suivre un des modules de formation, jamais reproposé, du fait d’une absence pour maladie ou maternité (http://www.sud-travail-affaires-sociales.org/spip.php?article982). C’est dommage : la dernière vient de partir en retraite. Bien joué, Madame la DRH ! Encore un bel exemple de l’esprit de justice et de l’absence de discriminations découlant du système RIFSEEP.

L’IFSE a fait miroiter une transparence et une progression de la rémunération et c’est tout le contraire qui s’est produit. Il est structurellement favorable aux collègues qui peuvent être mobiles professionnellement et qui progressent dans leur carrière c’est-à-dire les cadres de ce ministère. Un.e collègue qui fera très bien son travail, aura des missions différentes, forme ses collègues et fait bénéficier de son savoir-faire aura de toute manière moins qu’un.e chef.fe qui change tous les trois ans de poste, quelle que soit la qualité de son travail.

Nous revendiquons toujours l’intégration des primes dans le traitement indiciaire et la fin de ces politiques salariales injustes et opaques !

Nous revendiquons une véritable inversion de logique :
• La priorité donnée à l’IFSE expérience avec une revalorisation automatique
• Des montants encadrés et supérieurs à ceux de la mobilité
• L’absence de toute référence au poste, la compétence pouvant s’apprécier au gré de différents postes et pour tenir compte de l’ensemble des situations de mobilité non choisie.


Article publié le vendredi 2 février 2024